Voyager en train en Europe, entre plaisirs et contraintes

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La prise de conscience climatique conduit de plus en plus de voyageurs à éviter, voire à abandonner l’avion au profit du train, y compris pour des trajets vers l’étranger.Mais même pour des destinations proches en Europe, le rail pâtit souvent de tarifs élevés et de divers freins techniques. Les trains de nuit internationaux, qui avaient quasiment disparu, font une timide percée, sous l’impulsion de la compagnie autrichienne. Se rendre dans un pays voisin en train plutôt qu’en avion, « c’est possible », comme le dit un vieux slogan publicitaire de la SNCF. Mais cela nécessite parfois une forme
de volontarisme, souvent un effort financier, presque toujours un fécond changement de regard sur le voyage.

Pierre rêvait d’exotisme. Ce père de trois enfants avait planifié un séjour au Vietnam, cet été. Mais c’était sans compter sur la conscience écologique de son aîné, 21 ans. « La magie de cette destination n’a pas suffi à le convaincre, raconte-t-il. Déterminé à limiter son empreinte carbone, mon fils nous a fait savoir qu’on pouvait s’envoler pour l’Asie. Mais sans lui… »

Pierre et sa famille ont finalement mis le cap sur Berlin, à bord d’un train. Ou plutôt de plusieurs trains, avec en cours de route, aller comme retour, des retards, une correspondance ratée, un itinéraire redessiné et la nécessité, parfois, de voyager debout : « On se rend compte, alors, de la chance qu’on a, en France, d’avoir des trains qui, globalement, arrivent à l’heure ! »

Effectuer les 1 000 kilomètres qui séparent Paris de Berlin aura pris près de dix heures, contre 1 h 45 en avion. Mais Pierre ne regrette pas son choix. Ce cadre francilien se dit même prêt à privilégier de nouveau le train et son petit parfum d’aventure s’il devait se rendre – « pour une semaine au moins » – dans d’autres villes européennes comme Milan, Barcelone ou Madrid. La SNCF, qui en 2023 a transporté 34 millions de voyageurs par-delà nos frontières (+ 6 %), opère une cinquantaine de destinations dans neuf pays. Il y a bien sûr les historiques Paris- Londres, Paris-Bruxelles-Amsterdam ou encore la desserte de la Suisse en TGV Lyria. Mais on trouve aussi de nouvelles propositions, comme la liaison nocturne Paris-Vienne, relancée en 2021, ou des lignes estivales, telles Francfort- Bordeaux et Lausanne- Marseille.

La moitié de ces destinations se situe à moins de quatre heures de Paris ou d’autres métropoles françaises. « Quatre heures de trajet, voire cinq, c’est le nouveau seuil psychologique, au-delà duquel on privilégie l’avion, observe Patricia Pérennes, économiste au cabinet Trans-Missions. Longtemps, on évoquait un maximum de trois heures. Mais le confort s’est amélioré à bord des rames, avec le wi-fi et la possibilité de recharger son ordinateur. »

Elle insiste : « Le temps – même plus long – est mieux rentabilisé en train qu’en avion, où l’expérience est morcelée », avec le trajet vers et depuis l’aéroport, le passage des portiques, l’attente à la porte d’embarquement, le décollage et l’atterrissage, durant lesquels l’usage des appareils électroniques est interdit… « Les nouvelles organisations de travail ont changé la donne, relève de son côté la SNCF. De plus en plus de voyageurs anticipent ou prolongent leur week-end, quitte à intégrer une part de télétravail. Comme ils restent plus longtemps sur place, ils sont prêts à passer un peu plus de temps dans le train. »

Le rail peut-il vraiment concurrencer l’avion, qui lui aussi voit son trafic s’envoler (+ 14 % en 2023 dans les aéroports français), dopé par l’irrésistible ascension de vols à prix cassés (« low cost ») représentant aujourd’hui un tiers des déplacements dans le ciel européen ? Sur l’axe Paris- Londres, l’Eurostar – et le ferry – a marginalisé l’avion, utilisé quasi exclusivement pour attraper une correspondance aux plateformes aéroportuaires de Roissy ou Heathrow. Le train fait également mieux sur Paris- Genève, Paris-Luxembourg ou Paris-Stuttgart (entre 65 et 85 % de part de marché, selon la SNCF). Les deux modes font jeu égal sur le Paris-Zurich. Mais l’aérien concentre les trois quarts du trafic entre Paris et Munich, Milan ou Barcelone.

Le train a beau émettre en moyenne, selon l’Ademe, 80 fois moins de CO2 que l’avion (en tout cas en France, où l’électricité est très largement décarbonée), le match est plus que serré. La comparaison tarifaire est, certes, malaisée car le ferroviaire comme l’aérien font constamment évoluer leurs prix en fonction des taux de remplissage et proposent de plus en plus de services optionnels payants. Mais voyager en train coûte souvent plus cher, même si la SNCF propose pour ses destinations internationales des billets à partir de 29 € ou 39 € l’aller.

Nicolas, 28 ans, part en train début septembre depuis Lyon vers Édimbourg. Pour son billet, ce musicien a déboursé environ 400 €, presque deux fois plus que pour un avion. « Sans cette solution, ma compagne et moi n’y serions tout simplement pas allés, assure Nicolas, qui se refuse à utiliser un moyen de transport à l’origine de 3 à 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et puis c’est l’occasion d’admirer longuement les paysages. » Tous les usagers ne sont pas prêts, cependant, à un tel effort. Or économiquement le train est désavantagé par rapport à l’aérien, en particulier sur le réseau français, où les péages, les plus chers d’Europe, constituent jusqu’à 40 % du billet. « Le tarif du train inclut aussi la TVA sur l’électricité, alors que le kérosène des avions n’est pas taxé », souligne Patricia Pérennes.

Des pistes existent néanmoins pour voyager en train sans obérer son budget. On peut réduire la facture d’hôtel en empruntant des trains de nuit. Ces derniers font leur réapparition, timidement toutefois, faute de modèle économique solide (une place n’y est vendue qu’une fois par jour, contre quatre fois sur un TGV qui enchaîne les rotations).

Pour un voyage itinérant, on peut aussi opter pour le passe Interrail, qui permet de traverser l’Europe à bord d’un nombre illimité de trains, sur un nombre de jours donné. Ce sésame revient par exemple pour cinq jours de voyage à 318 € et même à 239 € pour les moins de 27 ans ou à 286 € pour les plus de 60 ans. « Mais c’est surtout la concurrence, balbutiante, qui tire les tarifs vers le bas », estime Christopher Michau, directeur général France de Trainline.

En 2022, un an après l’arrivée en France de Trenitalia, ce comparateur en ligne proposait (via l’opérateur italien ou la SNCF) des tarifs nettement inférieurs à ceux de 2019 : – 19 % sur un Paris-Milan et même – 42 % sur Paris-Lyon. Michel Quidort, président de la Fédération européenne des voyageurs, approuve lui aussi l’arrivée de concurrents de la SNCF comme Trenitalia ou Renfe, qui opère un Lyon-Barcelone et un Marseille-Madrid.

Mais pour celui qui est aussi vice-président de la Fnaut, fédération d’associations d’usagers, il existe un autre obstacle :

la difficulté à se procurer un billet unique entre deux destinations européennes.

De fait, contrairement à Trainline, l’appli SNCF Connect ne propose désormais – officiellement « pour des raisons techniques » – de billets internationaux que sur des trajets qu’elle opère de bout en bout. Freins psychologiques et financiers côté voyageurs, freins techniques et sécuritaires côté compagnies (lire les repères) : l’Europe n’est qu’à moitié sur les rails, en dépit des efforts d’harmonisation déployés par l’Agence ferroviaire européenne, basée à Valenciennes (Nord). « L’un des obstacles majeurs demeure la signalisation, avec la coexistence de multiples systèmes nationaux », indique son directeur, Josef Doppelbauer.

Un coûteux système européen standardisé de gestion du trafic des trains est en cours de déploiement : « Mais la France et l’Allemagne figurent parmi les mauvais élèves. » Malgré tout, certains professionnels du voyage misent sur le train. « Quand vous filez vers Vienne dans une cabine privatisée, qui rappelle l’ambiance d’une chambre d’hôtel, ou quand vous admirez les montagnes suisses depuis un train panoramique, ce n’est pas juste un déplacement mais une vraie expérience » , insiste Yulia Santalova, directrice de Discovery Trains, une agence basée à Paris.

« À peine dans le train, vous êtes en vacances », abonde Fabian Pirard, fondateur de l’agence belge Railtrip. travel. Sa stratégie : transformer les contraintes du train en possibilités. « En construisant les parcours, nous prévoyons des temps de correspondance assez confortables pour que les clients puissent déposer les bagages dans un lieu que nous leur indiquons et partir quelques heures découvrir un monument, visiter un musée, déguster une spécialité locale… » Et Fabian Pirard de vanter « un autre rythme, une autre philosophie du voyage ».

Article de La Croix par Denis Peiron

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